Présentation de Joris Vincent
Dans le cadre des " Rencontres avec ... ", nous avons accueilli Joris Vincent, maître de conférences à l’Université de Lille 2. Ancien joueur de rugby, entraîneur d’une équipe féminine, le débat a porté sur la place de la performance en EPS, la place des filles en EPS, notamment dans les sports collectifs, ainsi que la formation des enseignants sur la notion de performance.
1. La performance
La notion de performance peut être déclinée en termes de performance physique, intellectuelle, ou encore affective. Quel type de performance recherche-t-on alors en EPS ? Pour Joris Vincent, la performance affective est très présente dans l’enseignement de l’EPS. En effet, il s’agit souvent pour les élèves de maîtriser des émotions, de jouer avec les émotions. En rugby, par exemple, lors d’une situation de corps à corps, les élèves peuvent être confrontés à différents types d’émotions telle que la peur du contact, ou alors la joie. Joris Vincent questionne la part accordée à la performance physique en EPS. En effet, avec 2 à 3h d’EPS (4h pour les élèves de 6ème) par semaine, les élèves peuvent-ils réellement atteindre une performance physique maximale ? Ce type de performance doit-il être premier en EPS ? Si à la fin des années 1950, la table Letessier permettait d’évaluer les élèves sur la base des performances sociales, de nos jours, il est difficile de comparer performance physique, en haut niveau et performance dans le milieu scolaire tellement les écarts entre ces deux publics sont importants, et ce dans toutes les pratiques sportives. De plus, pour atteindre une performance maximale, l’expertise de l’enseignant dans l’activité pratiquée apparaît presque indispensable, tant il s’agit de jouer sur des paramètres subtiles pour faire progresser l’élève, pour identifier les obstacles rencontrés. C’est pourquoi Joris Vincent privilégie la performance affective.
2. La performance affective
La performance affective, en rugby, est la capacité à accepter le corps à corps, le fait pour l’élève de participer ou non à des phases de regroupement, ou de mettre son corps en opposition, de se proposer en soutien… Elle est donc première dans le cadre de la motricité, et est liée à l’impression de sécurité éprouvée par le pratiquant. Plus on est en sécurité, plus on s’engage, et plus on est performant physiquement. Dès lors, pour l’évaluer, une solution consiste à mettre une pression numérique, ainsi qu’une pression temporelle de plus en plus importante (par exemple le défenseur derrière, puis devant, puis en jouant à 2 contre 1, puis à 2 contre 2…).
3. La performance et la formation des enseignants
La formation des enseignants et de plus en plus centrée sur la polyvalence et de moins en moins sur la spécialité vis-à-vis d’une pratique. De ce fait, les enseignants peuvent éprouver des difficultés à faire accéder les élèves à la performance maximale des élèves en EPS, d’autant plus si l’APSA pratiquée par les élèves a été peu ou pas pratiquée par l’enseignant durant sa formation. De même, les étudiants sont de plus en plus polyvalents, comme en atteste l’Oral de spécialité au concours de recrutement, où le jury regrette que les candidats ne soient pas assez spécialistes et ne puissent pas aller suffisamment loin dans l’analyse de la performance. Dès lors, comment conduire les élèves vers la performance physique maximale ?
4. La place des filles dans les sports collectifs en EPS
La place des filles dans les sports collectifs en EPS (et plus globalement la problématique de la mixité), fait débat, puisque certains enseignants séparent filles et garçons lors de la pratique des sports collectifs. Les performances des filles sont inférieures par rapport à celle des garçons (Combaz) car les normes masculines structurent encore l’EPS. Or en rugby, les contraintes, d’un point de vue moteur, sont plus faibles que les autres sports collectifs, puisqu’il est possible de courir avec la balle par exemple. La marque pose également moins de problème dans la mesure où il s’agit d’aller poser le ballon sur le sol et non de viser une cible restreinte. Cette APSA apparaît donc, pour Joris Vincent, une APSA privilégiée pour regrouper filles et garçons. Toutefois, en rugby le rapport au corps est particulier puisqu’on entre dans l’espace proche, le corps à corps doit être à la fois accepté et subi. En effet, il s’agit d’accepter d’entrer en contact avec l’adversaire pour récupérer le ballon, et en même temps, ce contact est subi lorsqu’un adversaire entre en contact pour récupérer le ballon. En ce sens, le rugby est également différent des sports de combat, dans la mesure où il s’agit d’adapter ses émotions, ses techniques corporelles. Cette spécificité de l’activité permet une certaine égalité entre filles et garçons en EPS, dans le sens où elles peuvent montrer une supériorité par rapport aux garçons, supériorité qu’elles n’ont pas dans les autres APSA. En effet, elles sont souvent plus dynamiques que les garçons, certaines trouvent également une manière de s’exprimer, notamment dans les phases de contact, de conquête du ballon… Cela devient alors pour elle un nouveau modèle de sociabilité.
5. Programmation
S’il semble intéressant de commencer la programmation par les sports collectifs, pour développer une nouvelle sociabilité chez les élèves et redistribuer les rôles, développer de nouveaux modes de communication entre les élèves, certains obstacles sont inévitables et doivent être pris en compte telle que la disponibilité des installations sportives, l’hygiène corporelle (douche après le rugby).
6. La performance et l’adolescence
Par ailleurs, si le rugby semble intéressant pour diminuer les inégalités de réussite entre filles et garçons, c’est également une APSA qui pose des problèmes socioculturels. En effet, à l’adolescence les corps se transforment, se pose alors le problème de l’image de soi lors du corps à corps, mais également de la perception de son corps, de la difficulté à accepter le corps à corps lorsque les relations amoureuses commencent à devenir une préoccupation pour l’élève. Par ailleurs, pour les filles notamment, la pratique du rugby peut remettre en cause leur image au regard de leur féminité. De plus, la mixité peut poser certains problèmes, notamment lors du corps à corps où certains garçons peuvent chercher à faire la preuve de leur masculinité, et sont moins dans une logique de coopération. Ainsi, mixer les équipes ne va-t-il pas à l’encontre de l’essence du rugby ? Pour Joris Vincent, certaines filles se révèlent lors de la pratique de l’APSA rugby, s’engagent davantage que les garçons. Il lui semble alors nécessaire de faire jouer filles et garçons ensemble. Si cela semble parfois difficile à faire accepter aux élèves, Joris Vincent propose de construire progressivement le droit de charge à l’échauffement, notamment pour construire les pré-réquis nécessaires pour plaquer en toute sécurité mais aussi se faire plaquer en toute sécurité. Par ailleurs, il est également possible de faire jouer les garçons et les filles dans deux zones séparées : une pour les filles uniquement, et une pour les garçons, dans laquelle les filles peuvent également jouer. Cela amène au fur et à mesure de la séquence, de plus en plus d’interpénétration dans les espaces, entre filles et garçons. Néanmoins, les différences morphologiques peuvent amener à des chocs entre les élèves. C’est là qu’intervient la compétence de l’enseignant. Ce dernier doit pouvoir anticiper ces actions dangereuses pour réguler l’activité des élèves et ainsi assurer leur sécurité. Ainsi, se pose la question de la compétence des enseignants. Avoir vécu l’activité et avoir un certain degré de spécialisation permet de comprendre les risques engendrés par la pratique de l’activité, les problèmes rencontrés par les élèves. Dès lors, en raison d’un déficit dans certaines APSA, filles et garçons sont séparés.
Conclusion
La performance peut se décliner sous différentes formes, et il apparaît que la performance physique peut sembler utopique dans la mesure où elle nécessite un temps de pratique important, ainsi que des compétences spécifiques à l’APSA de la part de l’enseignant. Si la spécialisation des enseignants dans l’ensemble des APSA semble difficile à atteindre, le travail en équipe peut permettre aux élèves d’accéder à des performances physiques, mais surtout affectives de haut niveau. Cela permettrait également de faire pratiquer filles et garçons ensemble dans le cadre des sports collectifs, grâce à une identification des problèmes spécifiques posés à chacun de ces publics.
Enfin, la notion de performance fait actuellement débat en EPS. Certains militent pour construire l’EPS autour de la performance physique, d’autres pour construire l’EPS autour de la notion de santé, la performance physique étant secondaire. Pour Joris Vincent, l’EPS ne peut se séparer de la notion de performance.
Merci à Joris Vincent pour sa contribution et la qualité des échanges que nous avons pu partager !