Présentation de Jean-Luc Ubaldi
La rencontre avec Jean-Luc Ubaldi s’est déroulée le jeudi 15 janvier à l’ENS sur le thème " Quelle EPS pour demain, et quelle formation des enseignants pour cette EPS ? ". Dès que Jean-Luc Ubaldi a accepté notre invitation, nous avons pensé à ce thème étant donné sa position actuelle dans le champ de l’EPS et des STAPS. En effet, passionné de l’enseignement de l’EPS, il est professeur agrégé d’EPS et a enseigné jusqu’en 2005 dans un collège sensible de la région lyonnaise. Il rejoint ensuite l’IUFM aujourd’hui ESPE de Lyon afin de participer encore plus à la formation des futurs enseignants ainsi qu’au développement de la discipline EPS. Jean-Luc Ubaldi fait aussi partie de la coordination nationale du CEDREPS, le plus ancien groupe de réflexion de l’AEEPS, participant activement aux réflexions sur l’EPS et l’Ecole. Les débats lors de cette soirée ont été très riches, et au nom de l’association nous remercions sincèrement Jean-Luc Ubaldi pour avoir été présent et pour avoir répondu à toutes les questions posées.
1. L’EPS aujourd’hui & L’EPS de demain
A. L'enseignant entre la gestion de sa classe et les apprentissages
Le constat principal que Jean-Luc Ubaldi fait actuellement sur l’EPS concerne le " trop de gestion " dans les séances où les élèves n’apprennent finalement pas grand chose. L’impression donnée est de ne jamais commencer la séance, en restant sur des problématiques de gestion de classe, d’organisation des tâches mais sans aller réellement sur les apprentissages. Cette idée est corrélée au fait que les élèves sont très peu en action en classe, " transpirent " peu et ne sont pas réellement transformés à la fin d’un cycle d’EPS. Ces constats sont issus des observations que Jean-Luc Ubaldi fait lors de ces visites dans les classes et dans la formation initiale et continue des enseignants d’EPS. Au-delà du traitement didactique des activités, il questionne la présence trop faible des interventions verbales par les enseignants d’EPS, qui restent sur de la gestion et peu sur des interactions de nature didactique. L’objectif pour une EPS future est donc d’augmenter le nombre d’interventions à visée didactique et d’apprentissage pour qu’ils soient plus ciblés (par des conseils fondamentaux).
B. Entre zapping et ciblage
Pour Jean-Luc Ubaldi, plusieurs éléments seront indispensables pour une EPS qui permette à tous les élèves de réellement se transformer lors des séquencesd’enseignement. D’abord, la question du ciblage est revenue à plusieurs moments lors de la soirée pour affirmer que l’on ne peut pas essayer de tout enseigner dans une discipline, et qu’il faut faire des choix, en ciblant des objets d’enseignement. Le ciblage est une forme de réponse à l’EPS " zapping " (Pineau, 1991 ; Delignières, 1993) où l’on accumule des séquences d’APSA, des situations d’apprentissage à l’intérieur de ces séquences sans réellement cibler d’objets précis d’apprentissage. Cette question du ciblage apparaît comme une préoccupation importante aussi dans les autres disciplines, pour que les élèves apprennent réellement. En prenant l’exemple du Basket, Jean-Luc Ubaldi nous a affirmé la possibilité de faire une séquence entière avec un seul match qui se déroulera dans une action complète. Au-delà du ciblage, l’objectif est de réellement construire une démarche de compréhension, non pas de l’APSA mais de l’élève en activité (pas ce qu’est la danse mais ce qu'est un danseur ; pas ce qu’est la natation mais ce qu’est un nageur). À partir de ce moment-là, Jean-Luc Ubaldi affirme qu’il y a des progrès décisifs dans les activités. Il faut se poser la question alors de quel est le premier progrès décisif dans cette activité : qu’est-ce qui fait qu’il est plus danseur qu’avant ? En se détachant ainsi de l’expertise et de certains problèmes qui peuvent paraître évidents, les différentes étapes précises d’apprentissage pourront permettre aux élèves de réellement progresser.
C. L'évaluation
Jean-Luc Ubaldi fait aussi le constat de la difficulté pour les enseignants de mettre en œuvre les obligations d’évaluations et de certification (en fin de séquence et en fin de scolarité). En effet, l’entrée par la compétence amène à modifier sa conception de l’évaluation dans le cadre d’activités complexes. Pour cela, il propose de questionner les enseignants dans leurs séquences et dans leurs leçons sur : " quel grand pas en avant font les élèves ? " ou encore " quel progrès décisif doivent faire les élèves aujourd’hui ? ". Dans ses activités quotidiennes, Jean-Luc Ubaldi nous explique que beaucoup d’enseignants stagiaires ne parviennent pas à formuler quel progrès décisif vont faire les élèves. C’est un réel mode de pensée à construire où il est nécessaire d’enlever des contenus et de les réduire pour permettre de réels progrès décisifs dans les activités enseignées et de pouvoir les évaluer.
D. Rapport à la référence sportive
Une autre critique de l’EPS actuelle est celle du non-affranchissement réel à la référence sportive, où l’on touche peu à l’activité en elle-même qui engendre des systèmes " trop peu contraints " (réduction seulement du nombre de joueurs ou mise en place de zones). Pour lui, l’EPS de demain doit s’affranchir de la référence sportive, c’est-à-dire ne pas l’oublier mais plutôt devenir autonome par rapport à celle-ci.
E. Autour du moteur et des CMS
Pour Jean-Luc Ubaldi, la priorité en EPS est de focaliser l’activité sur le pratiquant à 100% par rapport aux compétences méthodologiques et sociales. En effet, la priorité est de former un danseur, pas un spectateur et encore moins un chorégraphe. Par exemple concernant la question de la formation à l’arbitrage, l’arbitre débutant ne peut voir qu’une seule règle à la fois, il apparaît donc nécessaire de cibler réellement les contenus. Les interactions sociales ont un rôle très important dans la formation en EPS pour apprendre et faire apprendre, tant que la présence de l’autre a un sens pour les élèves. Les Compétences Méthodologiques et Sociales (CMS) doivent donc être strictement intégrées à l’action, elles ne se construisent pas toutes seules mais réellement dans l’action. Jean-Luc Ubaldi défend l’idée qu’il faut d’abord faire des pratiquants pour ensuite faire des apprenants. Par exemple, en sports collectifs, la tenue de la table de marque est très importante notamment dans des situations à plusieurs scores. Les élèves vont devoir observer des éléments précis, y faire attention puisque cela va être dans l’essence du jeu.
Après avoir abordé différents thèmes concernant l’EPS actuelle et celle de demain, nous nous sommes intéressés à la formation des enseignants, qui influence aussi directement l’EPS quotidienne dans les classes. Les mêmes thèmes ont été globalement abordés.
2. La formation des enseignants
A. Référence sportive dans la formation & Rapport au concours
Comme pour l’EPS, la formation devrait pouvoir s’affranchir de la référence sportive, pour tenter de faire acquérir de réelles compétences aux futurs enseignants. Mais les concours de recrutement sont révélateurs du rapport à la culture sportive et les épreuves restent nombreuses et évaluées principalement voire exclusivement sur la performance. De plus, la quantité d’activités possibles au programme du CAPEPS par exemple (plus de 25 activités l’Oral 1) questionne le ciblage dont nous parlions précédemment. Jean-Luc Ubaldi avoue ne maîtriser que réellement 3 ou 4 activités, dans lesquelles les élèves vont vraiment apprendre et progresser. Mais comment peut-on maîtriser 20 activités ? Cette question pose la problématique de l’expertise, nécessaire ou non pour enseigner. En effet, dans quelle mesure l’expertise dans une APSA permet-elle aux élèves de progresser ? Certaines remarques ont été formulées sur le fait que avoir vécu le stade de débutant dans une activité permet de mieux se rendre compte des problèmes et des élèves et donc de les résoudre. Tandis qu’un expert peut se retrouver loin de ces problématiques et rester dans une perspective très proche de la culture sportive. Là encore, les conceptions divergent et les propositions aussi : Faut-il créer un CAPEPS avec des spécialités ? Faut-il assumer ce profil de polyvalence quitte à perdre le ciblage de contenus ? Ce débat reste très présent encore actuellement, à la fois sur faut-il être expert pour enseigner mais aussi pour écrire des articles dans une activité ? Jean-Luc Ubaldi prend l’exemple des programmes qui sont réalisés par des experts dans les APSA, mais aussi les enseignants PRAG qui sont recrutés par spécialités. Pour lui, l’EPS et la formation devraient se détacher de la référence sportive, pour proposer une formation aux APSA calibrée de façon différente afin de ne pas être en concurrence avec les brevets d’état. Une des propositions que formule Jean-Luc Ubaldi concerne le fait qu’il faudrait que chaque enseignant maîtrise 2 ou 3 APSA de référence pour ensuite proposer un travail collectif en équipe. Dès lors que l’équipe partage les mêmes valeurs, les échanges pourront permettre de travailler non pas sur la connaissance de l’activité mais plutôt sur les objets d’enseignement qui apparaissent fondamentaux.
B. Ciblage des contenus en formation
En formation, la question des contenus est alors mise en avant, où beaucoup de choses sont abordées mais sans réellement cibler des contenus précis. L’accumulation de connaissances de différents champs pose question, notamment dans la cohérence globale de formation. De plus, au-delà des apprentissages didactiques, peu de compétences sont développées en formation initiale sur la gestion de classe et sur les interventions en classe : quoi regarder chez les élèves, quoi leur conseiller pour qu’ils progressent et quels contenus cibler avec ses élèves.
C. Professionnalisation des enseignants
Pour la formation enseignante de demain, Jean-Luc Ubaldi prône pour une formation plus professionnalisante, qui devrait permettre aux élèves d’apprendre plus dans le cadre de l’EPS. Il affirme ne pas dresser un constat pessimiste mais plutôt qu’il devient nécessaire de changer certains fonctionnements ou certaines croyances pour pouvoir réellement transformer les élèves.
En effet, la formation en STAPS a encore un rapport viscéral avec la réussite au concours, quand d’autres disciplines ont intériorisé le au-delà du concours. Par exemple l’Agrégation interne pèse un poids fort sur la faisabilité tandis qu’à l’Agrégation externe on est beaucoup plus sur le rapport aux savoirs théoriques. Même si la réussite au concours reste très importante, les STAPS peuvent être considérés en avance sur la professionnalisation avec la présence de stages pédagogiques en Licence 2 et Licence 3 dans beaucoup d’universités. Mais là encore se pose la question de l’efficacité de ces stages (rapport de l’étudiant à l’autorité, à la gestion de sa classe) mais aussi concernant le suivi professionnel avec le manque de systèmes d’accompagnement. Dans la formation d’un enseignant, il apparaît indispensable d’apprendre à prendre conscience de ses gestes d’enseignant, mais aussi de donner des solutions aux enseignants débutants. Jean-Luc Ubaldi défend l’idée qu’on ne peut pas tout concevoir à chaque instant, mais que pour gagner du temps il faut pouvoir utiliser des solutions. Il affirme qu’il a mis 10 ans à comprendre qu’en natation commencer par la respiration ne permettait pas de résoudre les problèmes du débutant. Il faut donc plutôt s’enrichir de l’expérience des autres enseignants pour pouvoir progresser aussi à son tour. Pour Jean-Luc Ubaldi, l’enseignant concepteur qui sait réfléchir est un mythe encore plus dans le début de son enseignement. Les situations n’ont pas forcément besoin de changer, mais plutôt la qualité des contraintes associées. Par exemple dans les sports collectifs, les matchs à contrat sont très intéressants pour faire progresser les élèves, à la fois sur des contenus ciblés tout en restant dans des situations complexes. L’alternance entre grande boucle (situation de match souvent) et petites boucles (situations de travail) est très intéressante, tant que les situations de grande boucle sont majoritaires. Jean-Luc Ubaldi défend l’idée qu’il faut diminuer le temps de compréhension des situations pour que les élèves apprennent réellement.
D. Entre formation et formatage
Une des questions concernant le concours concerne évidemment la question des attentes qui conditionnent de fait la formation. Jean-Luc Ubaldi affirme que les concours EPS sont en avance par rapport à d‘autres disciplines puisque l’on utilise la vidéo, des dossiers concrets qui tentent de mettre les candidats dans des conditions proches de la réalité. Mais le bachotage reste encore très présent, dans la mesure où les effets formation et les effets promotion se voient dans les copies et dans les oraux. Cette question de la culture commune qui se crée en formation concerne tous les concours de recrutement et notamment externes. Les remarques ont été formulées sur le fait que le formatage devient gênant lorsque ce n’est pas compris et que ce n’est que du recopiage. L’objectif est plutôt de donner des solutions et des clés pour que les étudiants accèdent à la compréhension et puissent en changer ensuite.
E. Rapport de l’enseignant aux travaux scientifiques
Une question a été posée à Jean-Luc Ubaldi concernant son positionnement particulier, puisqu’il est à la fois enseignant agrégé et formateur, et l’utilité qu’il perçoit dans les travaux scientifiques. Il affirme que la pratique permet de comprendre certains travaux sur l’apprentissage, en effet, lorsque l’on voit la réalité, on peut comprendre ce qui était expliqué. Mais pour lui, beaucoup de travaux scientifiques ne parlent pas d’EPS. De plus, les solutions professionnelles qui sont trouvées dans le cadre de la pratique ne sont pas forcément publiables. Pour lui, il apparait donc nécessaire de problématiser par la recherche les situations et la créativité des enseignants afin de faire plus ce lien entre les théories scientifiques et les pratiques réelles de terrain.
Merci à Jean-Luc Ubaldi pour sa contribution et la qualité des échanges que nous avons pu partager !