Présentation de Cécile Ottogalli
La troisième édition des " Rencontres avec ... " s’est déroulée en présence de Cécile Ottogalli, maîtresse de conférence en histoire du sport et de l'EPS à l’UFR STAPS de Lyon et co-responsable de l’équipe de recherche " Activités Physiques et Vulnérabilité " au sein du Centre de Recherche et d’Innovation sur le Sport (CRIS). Après une thèse d’acception historique sur la condition des femmes en alpinisme, Cécile Ottogalli a poursuivi ses travaux concernant la place des filles en EPS, en étudiant notamment l’histoire de la construction des identités sexuées en EPS et en sport, en se centrant particulièrement sur l’histoire de l’escrime internationale (Championnat du monde et Fédération Internationale d’Escrime). Son engagement pour la cause des femmes l’a aussi amenée à devenir membre de la mission égalité Femme-Homme de l’Université de Lyon 1.
Nous avons décidé de proposer à Cécile Ottogalli un thème touchant aux rapports de force entre hommes et femmes dans le champ des STAPS. Deux raisons principales ont guidé ce choix. D’une part, outre de nous appuyer sur les travaux menés par la chercheuse, nous avons considéré que la question du genre était susceptible d’intéresser un maximum de personnes engagées dans le champ de l’EPS, élèves ou enseignants, et nécessairement confrontées à des difficultés connexes. D’autre part, en proposant une focale sur le champ des STAPS, nous avons souhaité proposer à Cécile Ottogalli de faire un pas de côté par rapport aux thématiques du genre, largement investie par les chercheurs et connue des étudiants. Notre but était alors de susciter des discussions plus macroscopiques liées à la question du genre dans le monde des STAPS.
La troisième édition des " Rencontres avec ... " a débuté par la présentation de Marlène, Céline et Éric, qui ont proposé un état de la question des relations entre hommes et femmes à l’échelle de la société, de l’école et de l’EPS. Plus particulièrement, ils ont fait un constat des inégalités entre les sexes et proposé des pistes explicatives à leur sujet. Suite à leur intervention, Cécile Ottogalli nous a proposé un court exposé débutant par un ancrage historique de la question de la mixité en sport et en EPS. Elle a cité le colloque de 1996, intitulé " Histoire du sport féminin ", et travaillé la question des termes employés pour désigner les inégalités entre les sexes. Selon elle, nous parlons aujourd’hui de " genre ", ce qui amène à questionner les rapports hommes-femmes dans leur ensemble, non plus uniquement la seule question des femmes. Son exposé s’est poursuivi par le constat actuel de différences marquantes entre étudiants et étudiantes dans le champ des STAPS. Suite à ces éléments, Cécile Ottogalli a incité le public à réagir et à donner leur point de vue sur ces chiffres. De nombreuses questions ont été soulevées suite à cette invitation.
Le présent compte rendu a pour objectif de restituer de manière thématique les discussions survenues entre Cécile Ottogalli et le public présent durant cette soirée. Il est structuré en trois parties :
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Les inégalités entre hommes et femmes : constats et explications ;
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Plusieurs conceptions exprimées à propos de ces inégalités entre les sexes ;
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Gérer les inégalités entre les sexes en EPS et ailleurs : entre innovation et autoanalyse.
Chaque partie prend comme point de départ les questions soulevées à l’occasion de cette rencontre avec Cécile Ottogalli, et cherche à aborder ces questions de façon plus large, au regard des recherches récentes déjà réalisées.
1. Les inégalités entre hommes et femmes : constats et explications
A. Le constat des inégalités entre hommes et femmes
Plusieurs constats, présentés au cours de l’intervention initiale de Marlène, Cécile et Éric puis repris par Cécile Ottogalli, ont permis de faire état des inégalités entre hommes et femmes à l’échelle de la société, du sport, de l’école, de l’EPS et des filières STAPS. À l’échelle de la société, une diversité de chiffres a été présentée, faisant état des inégalités marquantes entre hommes et femmes, qu’ils s’agisse d’éléments concrets comme l’accès aux responsabilités ou comme les écarts de salaires entre les sexes, à compétences égales. Par exemple, l’enquête DARES (" Les écarts de salaire entre les hommes et les femmes en 2006 : des disparités persistantes ", 2008) stipule que, " en 2006, dans les entreprises de 10 salariés ou plus du secteur concurrentiel, la rémunération brute totale moyenne des femmes est inférieure de 27% à celle des hommes ".
Dans le domaine du sport, de nombreuses inégalités perdurent également entre hommes et femmes. Selon Davisse et Louveau (1998), le sport prône les valeurs du modèle masculin, délaissant ainsi celles touchant davantage les femmes. Ces inégalités en sport sont proches de celles que nous retrouvons dans le monde du travail : " La division du travail sportif, reflet de la division du travail professionnel ". Il existerait une analogie de structure entre les sports et les métiers n’attirant pas les femmes. Les métiers appelant la manipulation des armes, le pilotage d’engins sont peu féminins, tout comme les sports présentant ces mêmes propriétés.
À l’école, les inégalités entre garçons et filles sont également marquantes. Les filles sont décrites comme étant les plus sérieuses et les plus scolaires, et obtiennent des notes supérieures aux garçons. D’ailleurs, de plus en plus de chercheurs tirent la sonnette d’alarme sur la situation des garçons, qui, non pas en EPS mais davantage dans les matières dites " intellectuelles ", connaissent plus de difficultés que les filles (Auduc, 2009). Toutefois, les filles s’engagent dans des filières décrites comme correspondant aux valeurs féminines (enseignement, aide aux personnes…) tandis que les garçons s’engagent davantage dans des filières plus réputées comme étant ambitieuses et compétitives (grandes écoles…).
Plus particulièrement en EPS, il a été établi que les filles obtenaient en moyenne des notes inférieures à celles des garçons au baccalauréat. L’étude de Vigneron (2005) montre en effet qu’un point et demi séparent les garçons des filles lors de ce diplôme. Outre les écarts de notation, les chercheurs se sont attachés à décrire de manière plus qualitative comment s’illustrent ces inégalités en EPS.
Cécile Ottogalli a également évoqué durant son exposé les différences marquantes entre hommes et femmes en STAPS. Elle indique que cette filière se situe parmi les plus masculines. A l’UFR STAPS de Lyon, 27% des étudiants de L1 sont des femmes. En outre, au CAPEPS en 2013, 33% des reçus sont des femmes. A la fin de la rencontre avec Cécile Ottogalli, la chercheuse a également évoqué, de façon très rapide, les inégalités de traitement entre enseignants et enseignantes en STAPS, soulignant une difficulté pour les femmes d’accéder aux responsabilités et de développer des réseaux, ou encore une tendance de leur part à se montrer plus autocritique et moins carriériste que certains hommes.
B. Des éléments explicatifs de ces inégalités à plusieurs échelles
Au cours de cette rencontre avec Cécile Ottogalli, plusieurs éléments de discussion ont été avancés concernant des pistes explicatives à ces constats d’inégalités entre les sexes à différentes échelles. Ces explications ont trait principalement aux dimensions sociologiques et plus particulièrement, aux valeurs de domination masculine omniprésentes dans la société (Bourdieu, 1998). Plus précisément, les chercheurs ont établi que les garçons semblent être davantage en adéquation avec les valeurs inhérentes à la discipline EPS (Cogérino, 2007). En effet, selon Cogérino (2007), l’EPS constitue une discipline fondamentalement masculine en raison de son lien étroit avec le sport, ou encore à travers ses valeurs d’affrontement, de défi, d’effort et de dépense énergétique.
Aussi, nous avons évoqué lors de cette rencontre avec Cécile Ottogalli les recherches ayant montré que l’enseignant, parce qu’il a également fait l’objet d’une socialisation particulière, est emprunt de stéréotypes ne lui permettant guère d’être objectif dans son enseignement. Duru-Bellat (2010) explique à ce titre que toutes les interactions quotidiennes sont guidées par des représentations schématiques qui constituent des grilles de lecture des comportements d’autrui, les catégories de sexe, particulièrement prégnantes, enclenchent alors toute une série d’inférences stéréotypées chez les enseignants. Celui-ci tend ainsi à évaluer tel comportement, développer telle attente, réguler l’interaction, de manière différente avec un élève garçon ou fille, et ce, qu’il soit lui-même homme ou femme, tant des représentations s’imposent à chaque acteur social. Or, il semble que cette manière qu’ont les enseignants à agir différemment selon le sexe de l’élève profite davantage aux garçons qu’aux filles : " le traitement des enseignants tend à valoriser les garçons et, dans une moindre mesure, à dévaloriser les filles ou à mobiliser envers elles les stéréotypes du féminin " (Chaponnières, 2010, p. 70).
Plus précisément, les préoccupations des enseignants quant à la mixité diffèrent selon l’âge, le sexe et le niveau d’ancienneté de ces derniers. En effet, les valeurs associées à la coéducation sont mentionnées par les plus diplômés, les plus jeunes enseignants et les hommes. Les difficultés liées aux mises en œuvre sont mentionnées par les plus expérimentés, les moins diplômés et les femmes (Cogérino, 2007). Couchot-Schiex, Cogérino et Coltice (2009) se sont intéressés plus particulièrement aux perceptions des enseignants stagiaires face à la mixité en EPS. Il ressort que la mixité ne constitue pas une préoccupation toujours principale pour des enseignants qui ont à gérer un nombre important d’autres problèmes. Les chercheurs vont même jusqu’à dire que " la mixité tend à l’invisibilité quand le stagiaire est plongé dans l’urgence de la situation " (Couchot-Schiex et al., 2009, p. 174). Il semble donc que les enseignants novices ne formalisent pas ou très peu les problèmes de gestion de leurs classes mixtes et que l’impact de leur formation ne constitue pas un véritable déclencheur de questionnement. Les stagiaires sont davantage en recherche de situations d’apprentissage signifiantes ou de solutions rapides, mais ne s’attèlent que très peu à des problèmes de fond telle que la mixité. Aussi, Couchot-Schiex et al. (2009) notent que la sensibilité à la mixité nait bien souvent d’incidents ayant eu lieu durant le cours d’EPS. Ceci corrobore l’idée que l’expérience amène à de nouvelles perspectives de questionnement et nous aide à comprendre que ce sont les enseignants les plus expérimentés, comme l’a signifié Cogérino (2007), qui évoquent le plus les difficultés inhérentes à la mixité.
Par ailleurs, est apparue au cours de la rencontre avec Cécile Ottogalli la question de savoir comment les élèves percevaient la question de la mixité et les différences de traitement de l’enseignant en fonction du sexe des élèves. Une étude réalisée par Lentillon-Kaestner et Cogérino (2005) s’est intéressée aux perceptions que les élèves ont de la mixité en EPS. Il s’agissait de déterminer si les élèves étaient conscients ou non de l’injustice liée aux notations entre les garçons et les filles en EPS. Les résultats montrent que les élèves ont peu conscience de ces inégalités. À ce propos, Davisse (2010) propose un exemple concret. Pour elle, lorsque les enseignants mettent des ballons à la disposition des élèves, les garçons s’en emparent tandis que les filles restent en retrait. Néanmoins, les élèves n’ont pas conscience de ces différences et les garçons n’empêchent aucunement aux filles de jouer, ce sur quoi l’enseignant pourrait agir. Ces différences de comportements traduisent par contre " quelque chose dans le mobile même de l’activité physique, qui fonctionne différemment pour une grande majorité des filles d’une part et des garçons de l’autre " (Davisse, 2010, p. 87), et qui s’est construit au cours de la socialisation. Par ailleurs, la perception des inégalités entre garçons et filles est fonction des caractéristiques des élèves. En effet, " la sensibilité des élèves aux inégalités entre les sexes varie selon leur sexe, leur niveau de scolarité et leur origine sociale " (Lentillon-Kaestner & Cogérino, 2005, p. 89). En général, les filles de Collège ne perçoivent pas plus d’inégalités liées aux sexes en EPS que les garçons (Lentillon-Kaestner & Cogérino, 2005). Par ailleurs, les inégalités sont davantage perçues par les élèves en fin de scolarité de collège et par ceux issus de milieux défavorisés. Néanmoins, ces inégalités ne sont pas toujours assimilées à des injustices. Seuls les garçons de fin de scolarité perçoivent des injustices entre les sexes (Lentillon-Kaestner & Cogérino, 2005). Ceci nous montre que les problèmes d’injustices liés à la mixité semblent peu conscientisés par les acteurs de l’EPS. Lentillon-Kaestner et Cogérino (2005) fournissent une explication à cette idée en affirmant que « les filles sont conscientes de certaines différences entre les sexes, mais ne les assimilent pas à des injustices. Pour elles, ces différences leur paraissent normales : l’acceptation de la supériorité des garçons dans ce domaine des APSA, connoté " masculin ", peut être interprétée comme l’intériorisation des stéréotypes de sexe " (p. 89). Les inégalités entre filles et garçons en EPS traduisent ainsi une différenciation de valeurs entre les sexe, ancrées profondément dans la culture de chaque individu.
2. Plusieurs conceptions exprimées à propos de ces inégalités entre les sexes
A. Ignorer ou honorer les différences ?
Une première divergence de conception est apparue lors de cette rencontre avec Cécile Ottogalli, concernant la plus-value d’ignorer les différences en proposant aux filles d’accéder à la culture des garçons ou plutôt de les respecter voire de les honorer en situation de classe. La Loi d’Orientation et de Programme pour l’avenir de l’Ecole (2005) stipule que " les écoles, les collèges, les lycées [...] contribuent à favoriser la mixité et l’égalité entre les hommes et les femmes ", ce qui peut laisser croire que la mixité constituent une nécessité en EPS, même si elle se fait au prix d’une certaine ignorance des différences. Malgré tout, le Bulletin Officiel n°1 du 13 février 1997 stipulait déjà que " la mixité doit être encouragée mais [...] elle ne peut être conduite dans l’ignorance des différences ". Plus récemment et dans la même veine, le Bulletin Officiel n°2 du 19 février 2009 affirme que le choix des APSA enseignées " tient compte des demandes du public scolaire local, celles des filles notamment ".
Dans une première conception, il s’agirait de favoriser l’accès des filles à la culture des garçons, indépendamment de leurs différences de représentations et de leur culture singulière, en partant du principe qu’elles sont capables de parvenir aux mêmes exploits que les garçons. Finalement, les différences de nature, notamment la moindre puissance ou la moindre force de la plupart des filles par rapport à la plupart des garçons sont ici considérées comme surmontables. Dans une deuxième conception, il est considéré que l’accès des filles à la culture des garçons risquerait d’être conduite dans l’ignorance de ce que sont les filles et de leurs singularités. Se pose dans ce cas la question de l’accès des garçons à la culture des filles et au risque, à l’échelle globale de la société, de gommer les valeurs plus propres aux filles. Dans La sociologie est un sport de combat (2001), Bourdieu confie se sentir parfois « machiste » et dans le même temps, être plus sensible aux valeurs féminines. Malgré tout, selon lui, ce que nous nommons " valeurs féminines " reste un construit social et le fruit de la domination des hommes dans nos sociétés.
B. Favoriser ou non les filles par rapport aux garçons ?
Une deuxième différence de conception soulevée lors de cette rencontre avec Cécile Ottogalli a concerné la nécessité ou non de favoriser les filles, dans la société comme en EPS. Plus généralement, c’est la question de la discrimination positive qui est posée, notamment celle qu’illustrent les lois sur la parité hommes-femmes au sein des gouvernements ou dans les entreprises. Une première conception pourrait être d’estimer que le recrutement doit se faire sur la base exclusive de la compétence perçue des candidats, plutôt que sur leur sexe.
Malgré tout, dans une seconde conception, il convient de considérer la parité comme un moyen de construire de l’égalité. Autrement dit, l’objectif est de reconnaître que les inégalités et les discriminations sont telles, et si ancrées, qu’il faut un électrochoc pour signifier aux femmes qu’elles peuvent elles aussi accéder à certaines responsabilités, découvrir des compétences, des passions etc. D’ailleurs, les femmes ont tendance à s’estimer moins compétentes que les hommes à compétences égales. De telles représentations influent sur leur engagement en général, notamment en EPS. En escalade, par exemple, elles ont tendance à s’engager uniquement quand elles sont sûres de réussir, ce qui peut amener à des stratégies d’auto-handicap. La parité est alors perçue comme un moyen de montrer aux filles que dès le plus jeune âge, tous les individus, quelque soit leur sexe, peuvent accéder à n’importe quel possible, être valorisés sans limite de possibilités.
Cette deuxième solution semble constituer le parti-pris de l’EPS, qui tend à " forcer " la pratique d’APSA qui ne seraient pas nécessairement choisies par les élèves en dehors de l’établissement. En ne laissant pas aux élèves le choix de la programmation des APSA, nous cherchons ainsi à infléchir les comportements et à donner l’accès à tous à certaines valeurs. D’ailleurs, à ce titre, Terret (2007) envisage l’EPS comme un levier de la sportivisation des femmes. Selon lui, " plus que les garçons déjà largement sensibilisés au fait sportif, les filles ont, grâce à l’école, l’occasion de découvrir une pratique à laquelle leur culture comme la société dans son ensemble les avaient peu préparées ".
C. Mixer ou séparer garçons et filles ?
Enfin, certaines discussions ont révélé des points de vue concernant la nécessité de mixer les garçons et les filles à l’école, et plus spécifiquement en EPS. A l’inverse, certains se sont positionnés en faveur d’une séparation des filles et des garçons dans certaines APSA. À ce propos, la recherche a montré que les enseignants ont tendance à bâtir leur intervention sur l’opposition entre filles et garçons, organisant ainsi leurs interactions sur la base " d’attentes stéréotypées ", ce qu’ils ne peuvent évidemment pas faire quand la classe n’est pas mixte (Duru-Bellat, 2010). C’est ainsi que petit à petit et particulièrement au cours des dernières années, des discours prônant le rétablissement de la non-mixité en EPS et plus largement à l’école, ont émergé (Chaponnières, 2010). Chaponnières (2010) a évoqué une expérience de non-mixité tentée en Suisse, précisant que celle-ci s’est avérée très prometteuse : " En Suisse alémanique, l’école primaire publique Steinacker à Pfäffikon (canton de Zurich) a tenté en 2008 de séparer filles et garçons pendant sept semaines dans les cours de langues, mathématiques et travaux manuels. L’expérience s’est révélée très positive pour tout le monde " (Chaponnières, 2010, p. 71). Néanmoins, cette expérience n’a pas pris appui sur l’EPS, discipline qui met en jeu bien spécifiquement, par l’intermédiaire du corps, les inégalités entre filles et garçons.
Malgré tout, la mixité reste selon d’autres auteurs une nécessité lorsque nous considérons les visées de l’école en faveur d’une préparation des élèves à la vie d’adulte, d’une socialisation des élèves, et d’une lutte contre les représentations stéréotypées. Après tout, " quel serait le message d’une école qui en séparant les garçons et les filles acterait le fait qu’ils et elles ont des choses à vivre, apprendre ou débattre spécifiquement en tant que filles ou garçons ? " (Duru-Bellat, 2010, p. 208). En outre, s’il est une raison pour laquelle les législateurs et les praticiens penchent malgré tout en faveur de la mixité, c’est que les valeurs défendues par l’institution scolaire – de socialisation, de découverte de l’autre – impliquent que les élèves soient en condition mixte. La mixité comporte de véritables enjeux qui, bien qu’ils soient parfois mis à mal, restent nécessaires à poursuivre au risque d’aller à l’encontre des finalités de l’école. Duru-Bellat (2010, p. 208) met en évidence ce dilemme qui s’impose au système scolaire : " Il est pour le moins paradoxal pour l’institution scolaire à la fois d’affirmer l’égalité des sexes et d’inviter les élèves à dépasser les stéréotypes (notamment au moment de l’orientation), et dans le même temps de les séparer en les réassignant à une catégorie à laquelle elle les enjoint de ne pas se limiter ".
Les défenseurs de la mixité affirment également que la non-mixité n’effacerait en rien les problèmes liés à la mixité. Pasquier (2010), suite à un examen des recherches portant sur la non-mixité, milite pour une certaine prudence devant les études qui dressent un bilan positif des expériences de non-mixité. En effet, selon lui, ces recherches omettent de prendre en compte trois éléments :
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Le comportement et la réussite des élèves ayant connu des situations de non-mixité lors de leur retour dans un contexte mixté ;
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L’origine sociale des élèves, souvent plus élevée dans les écoles non mixtes ;
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Les rapports de domination intrasexe dans les groupes non mixtes.
3. Gérer les inégalités entre les sexes en EPS et ailleurs : entre innovation et autoanalyse
Cette rencontre avec Cécile Ottogalli a surtout été axée sur le constat et les explications sociologiques des inégalités entre garçons et filles, notamment en EPS. Malgré tout, plusieurs pistes ont été proposées au cours de la rencontre, pour faire en sorte, à différentes échelles, de réduire les inégalités entre hommes et femmes. Ces pistes suggèrent surtout la nécessité pour chacun de faire preuve d’innovation et d’autoanalyse. À l’échelle de la société, les principales pistes évoquées sont liées à la plus-value des réflexions engagées par chaque individu au sujet des inégalités entre hommes et femmes. Plus précisément, ont été énoncées l’éducation, l’indépendance économique des femmes ou encore le partage de responsabilités au sein des couples comme leviers pour lutter contre les inégalités et pour tirer profit des différences.
À l’échelle de l’école et plus particulièrement de l’EPS, des pistes ont été proposées pour lutter contre les inégalités entre garçons et filles. Premièrement, varier, innover concernant les modes d’entrée dans les APSA peut non seulement permettre de stimuler le plaisir des élèves mais aussi conduire chacun à découvrir des modalités de pratique particulières. Par exemple, l’entrée par l’acrobatique et/ou l’esthétique en acrosport a été évoquée. Deuxièmement, la question de la CP5 a été abordée, avec l’idée de réfléchir à d’autres structures ou d’autres APSA supports de telles modalités de pratique de manière à s’inscrire de manière plus fréquente en cohérence avec les motifs d’agir des filles. Troisièmement, la question de l’évaluation a été investie, en rapport avec l’hégémonie accordée à la performance dans les notations actuelles. Cette place est d’ailleurs sensiblement la même lors des concours de recrutement des enseignants. Plus précisément, le constat d’une hyper centration actuelle sur la force et la vitesse plutôt que sur l’adresse et la résistance amène nécessairement les enseignants à surnoter les garçons par rapport aux filles. Quatrièmement, la démonstration et la pédagogie du modèle ont été présentées comme potentiellement génératrices d’inégalités entre garçons et filles en EPS. Pourquoi ne pas donner à voir des garçons en danse ou des filles en rugby pour casser les représentations d’un " modèle attendu " dans certaines APSA ? Concernant ces pistes concrètes, Cécile Ottogalli nous a renvoyés aux propositions de Caty Patinet ou de Cécile Vigneron qui se sont attelées à formuler des pistes à destination des enseignants d’EPS, bien que précisant que les écrits établissant des liens entre théorie et pratique au sujet de la lutte contre les inégalités entre les sexes en EPS restent marginaux.
De manière générale, un dilemme majeur semble constituer le dénominateur commun de ces propositions et de l’activité de l’enseignant face aux élèves : la nécessité de partir des goûts et de la motivation des élèves, pour ne pas entrer frontalement contre leurs représentations, et celle de ne pas s’engluer dans ce que veulent faire les élèves au détriment de la découverte d’autres pratiques et d’autres cultures. Nous pourrions même envisager certaines propositions innovantes consistant à faire réfléchir les élèves sur leur propre manière d’envisager les rapports entre garçons et filles. De telles pratiques pourraient permettre d’influencer certaines représentations des élèves, héritées de leur socialisation, qui concourent à renforcer les inégalités entre les sexes en EPS. D’ailleurs, selon Davisse (2010), " l’objectif de combattre les inégalités, de faire acquérir par tous une culture commune, ne sera pas atteint sans prise en considération de la différence des représentations culturelles initiales des élèves " (p. 88).
Plus largement, des pistes ont été énoncées concernant la nécessité pour les enseignants de s’interroger et de procéder à une autoanalyse au sujet de leurs conduites en classe face aux garçons et aux filles. Ces réflexions sont d’autant plus nécessaires que les enseignants ne semblent pas avoir conscience de leur traitement différencié selon le sexe des élèves. À ce propos, Cogérino (2007) s’est attelée à recueillir le témoignage d’enseignants d’EPS, et a conclu que « la mixité n’est pas perçue comme une machine à construire de l’inégalité » (p. 39). En d’autres termes, les enseignants ne semblent pas percevoir l’étendue des inégalités que peut induire la mixité. En effet, ils évoquent davantage de problèmes de type organisationnel ayant trait à la gestion des groupes et des affinités dans un cadre qui, certes, avantage par tradition les garçons, mais " ce fait ne soulève pas de contestation explicite chez les enseignants " (Cogérino, 2007, p. 39). En outre, selon Attali (2005), au sein de la revue EPS de 1989 à 2000, peu d’articles traitent explicitement des problèmes de gestion de la mixité en EPS. Plus précisément, dans 4 articles sur 5, la mixité ne semble pas influer sur les situations pédagogiques et les formes de pratique proposées aux élèves.
C’est indéniablement par l’intermédiaire des formations initiale et continue des enseignants que cette sensibilisation à la lutte contre les inégalités entre garçons et filles peut être abordée. Certains ont d’ailleurs affirmé que l’apparition, dans le programme de l’épreuve d’écrit 1 de l’agrégation externe, d’un item sur les rapports entre hommes et femmes en EPS depuis 1945 en EPS, leur avait permis de se sensibiliser davantage aux problèmes posés par la mixité en EPS. Nous pourrions envisager d’ailleurs qu’un tel item soit proposé également en Écrit 2, dans le but de stimuler la réflexion des futurs enseignants sur des propositions concrètes et adaptées au contexte de classe. La nécessaire sensibilisation des jurys de concours à ces questions deviendrait alors un enjeu majeur. En outre, les formations constituent un espace potentiellement intéressant pour que les enseignants ou futurs enseignants se questionnent sur les valeurs qu’ils souhaitent développer chez leurs élèves et sur leurs objectifs éducatifs poursuivis en classe.
Plus largement, Cécile Ottogalli a également été interrogée, au cours de cette rencontre, concernant ses propres actions et sa manière de s’autoanalyser en tant que chercheuse engagée contre les inégalités entre les sexes en STAPS. Elle a ainsi expliqué mener certaines actions avec ses étudiants de L1, consistant à procéder à des jeux de rôles particulièrement révélateurs des stéréotypes. Aussi, elle a confié être de plus en plus en capacité d’établir des relations entre ce qui l’anime en recherche et son histoire personnelle. Par exemple, elle a affirmé avoir été marquée par sa qualité d’unique escrimeuse d’un club et avoir sans doute fait l’objet d’une discrimination intériorisée. Plus généralement, elle perçoit son engagement contre les inégalités hommes-femmes ainsi que son travail de recherche comme des formes de distanciation lui permettant d’appréhender de manière très singulière ses propres relations sociales. Dans le monde universitaire, Cécile Ottogalli a dit avoir observé des conduites différentes entre hommes et femmes, notamment en ce qui concerne la quête du pouvoir, caractéristique de certains hommes, ou encore la manière d’agir plus ou moins directement en faveur de la lutte contre les inégalités. Elle a exprimé à ce titre la nécessité de " dire les choses " pour limiter la survenue d’inégalités hommes-femmes dans le monde des STAPS. Malgré tout, la question des rapports entre les sexes a surtout été abordée, au cours de cette rencontre, en lien avec le monde de l’EPS.
Conclusion : la mixité, et après ?
Cette troisième édition des " Rencontres avec ... ", en présence de Cécile Ottogalli, semble avoir suscité des débats passionnés et généré une certaine émulation chez les étudiants. Plusieurs éléments y ont selon nous contribué, qu’il s’agisse de la présentation initiale de Marlène, Céline et Éric que de la nature même du thème proposé, qui fait écho à des débats récurrents dans le champs des STAPS. Plus encore, il nous semble que plusieurs éléments évoqués au cours de cette soirée auraient gagné à être développés davantage. Nous les considérons alors comme des perspectives à développer sur le thème des inégalités entre les sexes, en EPS et ailleurs :
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Le rapport entre les inégalités hommes-femmes et d’autres formes d’inégalités. Sans minimiser la portée du débat lié aux inégalités entre les sexes, il paraît nécessaire de considérer la mixité comme un élément dans un système complexe qui implique des questions plus larges. Les différences entre les sexes ne sont pas l’unique facteur d’inégalités qui touchent la société, l’école et l’EPS. Les inégalités liées à l’origine sociale ou encore à l’apparence physique sont des exemples qui méritent la même attention, la même prudence et la même autoanalyse. Autrement dit, ces inégalités s’imposant à l’enseignant ne devraient selon nous cesser d’être discutées et repensées par les chercheurs et par les praticiens, en ce sens qu’elles posent fondamentalement et de façon plus large la question des valeurs de notre société (Duru-Bellat, 2010). Ce qui nous paraîtrait intéressant serait de mettre en lien les inégalités entre les sexes avec les autres inégalités sociales, de manière à évaluer les éléments de spécificité, de conformité entre ces inégalités, notamment au regard des valeurs plus large de respect de l’autre, de performance, d’émotion, de rapport au corps, de dépassement de soi ou d’accomplissement des individus (Queval, 2004).
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Les pistes concrètes permettant de dépasser le débat théorique en y associant des propositions à destination des enseignants. Si certains éléments ont été avancés lors de cette soirée, Cécile Ottogalli s’est positionnée comme une théoricienne des inégalités entre les sexes en EPS plutôt que comme une didacticienne, et n’a guère posé la question des conséquences concrètes des idées développées dans l’enseignement de l’EPS. Or, si des propositions ont été faites par certains enseignants engagés sur la question du rapport filles-garçons en EPS, force est de constater que les difficultés et les dilemmes perdurent. Il s’agirait selon nous d’accentuer les rapports entre les explications théoriques des inégalités entre hommes et femmes à différentes échelles, et les propositions pratiques permettant de lutter contre les effets pervers de la mixité.
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La question de l’autoanalyse du chercheur ou de la chercheuse confronté(e) aux inégalités entre les sexes. Si Cécile Ottogalli s’est confiée quant à la manière dont elle considérait, à titre personnel, sa position de femme dans le monde très masculinisé des STAPS, ou a confié certains renseignements concernant les relations entre sa trajectoire personnelle et ses intérêts professionnels pour la question des inégalités hommes-femmes, reste que ces éléments n’ont guère été approfondis et seraient selon nous intéressants à développer. Ils vont en effet dans le sens d’une autoanalyse du chercheur et peuvent potentiellement offrir un regard différent, non moins riche d’enseignement, sur la manière dont les thèmes de recherche s’inscrivent dans une histoire de vie personnelle. À l’instar de Morin (1982), nous pouvons considérer que c'est " en avouant notre subjectivité, nos faiblesses et nos incertitudes, nous savons que nous sommes plus près de l’objectivité que ceux qui croient que leurs paroles reflètent l’ordre des choses ". De manière générale, une perspective majeure des " Rencontres avec ... " consisterait selon nous à susciter chez leurs intervenants une réflexion plus macroscopique sur la manière dont ils se positionnent, à titre plus personnel, vis-à-vis des questions brulantes dans le champ des STAPS.
Merci à Cécile Ottogalli pour sa contribution et la qualité des échanges que nous avons pu partager !
Bibliographie
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Auduc J.-L. (2009). Sauvons les garçons. Paris : Descartes et Cie.
Cogerino, G. (2007). Propos d'enseignants d'éducation physique face à la mixité, Staps, 75, 25-42.
Couchot-Schiex, S., Cogerino, G. & Coltice, M. (2009). Professeurs stagiaires en EPS face à l'enseignement en mixité, Carrefours de l'éducation, 27, 169-182.
Davisse, A. (2010). Filles et garçons en EPS : différents et ensemble ?, Revue française de pédagogie, 171.
Duru-Bellat, M. (2010). Ce que la mixité fait aux élèves, Revue de l'OFCE, 114, 197-212.
Duru-Bellat, M. (2010). La mixité à l’école et dans la vie, une thématique aux enjeux scientifiques forts et ouverts, Revue française de pédagogie, 171.
Lentillon-Kaestner, V. & Cogerino, G. (2005). Les inégalités entre les sexes dans l'évaluation en EPS : sentiment d'injustice chez les collégiens, STAPS, 68, 77-93.
Pasquier, G. (2010). Les expériences scolaires de non-mixité : un recours paradoxal, Revue française de pédagogie, 171.